Entretien conduit par Leonardo Martinelli
Le ministre tunisien des Affaires étrangères : «Nous sommes dans une période difficile pour les finances publiques. Nous aimerions collaborer avec le gouvernement italien pour créer un vrai développement ici»
«Pour gérer les flux de migrants illégaux vers l’Europe, la Tunisie est en train d’utiliser toutes les ressources et tous les moyens dont elle dispose. Mais ceux-ci ne sont pas illimités, d’autant plus que nous traversons une période difficile pour l’économie et les finances publiques. Nous ne pouvons faire plus». Nabil Ammar, 57 ans, ministre tunisien des Affaires étrangères depuis le 7 février, s’exprime clairement dans son bureau.
Une longue carrière diplomatique derrière lui (n’ayant jamais fait de politique), il est l’homme de confiance de Kaïs Saïed, l’énigmatique président. Il ajoute : «Nous avons besoin de financements et de matériel. La Tunisie a reçu beaucoup moins de fonds européens pour financer cette bataille que d’autres pays comme la Turquie mais aussi l’Italie elle-même».
Depuis le début de l’année, le nombre de débarquements depuis vos côtes à Lampedusa a été multiplié par quatre par rapport à la même période en 2022. Que se passe-t-il ?
Les Tunisiens ne sont pas les seuls à émigrer, la plupart des migrants viennent des pays subsahariens. La Tunisie est un pays de passage, prise dans un étau entre son Sud et son Nord. Nous possédons des navires et des moyens opérationnels qui nous ont été fournis par les pays européens, y compris l’Italie, pour intercepter ces migrants. Mais ils ne sont pas suffisants et dans certains cas, ils sont vétustes.
La Tunisie est dans une phase où elle risque de faire défaut… En octobre dernier, le FMI avait donné un premier accord pour un prêt de 1,9 milliard de dollars. Mais le feu vert définitif n’est jamais arrivé. Qu’est, ce qui, s’est passé?
Le Fonds exige certaines conditions. Nous voulons faire des réformes mais on ne peut pas nous imposer des réformes drastiques sur une courte durée. Il faut penser à la justice sociale, sinon il y aura encore plus de Tunisiens qui émigreront clandestinement. Nous sommes en train de négocier avec le FMI.
La semaine prochaine, vous vous rendrez à Rome pour rencontrer votre homologue Antonio Tajani.
Le gouvernement de Giorgia Meloni nous soutient beaucoup. Mais tant avec l’Italie qu’avec l’Europe, nous devons élargir la coopération au-delà de la question migratoire. La Tunisie a beaucoup de potentiel : créons ici et dans les pays subsahariens les conditions d’un véritable développement. Nous pensons au-delà de la logique : nous vous donnons de l’argent et en retour vous bloquez la migration clandestine.
Pouquoi ?
Parce que c’est un raisonnement réducteur, à court terme. Ils nous donnent plus d’argent pour jouer le rôle de la police, nécessaire pour rendre cette bataille plus efficace. Mais alors, qu’allons-nous faire demain ? L’Italie et d’autres pays nous disent : nous allons vous aider avec l’immigration légale. Mais vider la Tunisie de ses compétences, de médecins, d’ingénieurs et de techniciens n’est pas la solution.
Ces gens peuvent partir à l’étranger, enrichir leur expérience mais il faut ensuite leur donner la possibilité de revenir.
Une vingtaine d’opposants politiques au Président Saïed se sont retrouvés en prison au mois de février. La Tunisie est-elle en train de redevenir une dictature ?
Cela n’arrivera jamais : l’oiseau est sorti de la cage et ne reviendra jamais. Nos renseignements ont trouvé des preuves compromettantes contre ces personnes, les enquêtes sont en cours et il y aura des jugements. Si les faits se révèlent être faux, ils seront innocentés.
Il y a quelques semaines, Saïed a prononcé des mots durs contre les migrants subsahariens illégaux présents en Tunisie. Il y a eu des attentats…
En réalité, nous avons fait l’objet d’une machine médiatique coordonnée entre différents interlocuteurs, pour la plupart étrangers. La Tunisie n’est pas un pays raciste. Et notre Président est un véritable humaniste.
L.M.